Le vin, c’est la conjugaison de critères tels que le sol, le climat, le cépage et le vigneron. Les espaces naturels jouent ainsi un rôle majeur dans le processus de vinification. Déjà sous l’Ancien Régime, on a compris qu’ils doivent être correctement exploités pour offrir un vin de qualité. Nous allons voir que vignoble de Gaillac dispose d’un terroir de qualité permettant une diversité des vins de caractère, d’un climat avantageux mais aussi d’un aménagement réfléchi du territoire.
« Le climat et le terroir, donnent le goult et la force au vin, selon leurs propriétez » (Olivier de Serres)
Avant de parler du terroir gaillacois, il est bon de commencer par préciser ce qu’est le terroir et comment se définit ce mot sous l’Ancien Régime.
Le terroir vient du mot territoire. S’il peut se définir comme un ensemble de terres cultivées et exploitées par un même groupe d’habitants, il a une autre signification dans le domaine de la vigne. C’est un mot français, difficilement traduisible qui, dans la viticulture, renvoie à la qualité d’un vin, à son origine ou encore à son identité. La notion de terroir existe depuis le XIIIe siècle et c’est l’agronome français Olivier de Serres qui la remet en avant à l’époque Moderne dans son œuvre : Théâtre de l’agriculture et mesnage des champs, parut en 1600. Il écrit ainsi : « Le climat et le terroir, donnent le goult et la force au vin, selon leurs propriétez». Pour l’auteur, les terroirs possèdent des potentiels agronomiques très différents selon les régions, responsables de la grande diversité des vins sur tout le territoire.
Le rôle du terroir dans la viticulture ou de la terre dans l’agriculture en général est de permettre le développement de la plante en répondant à ses besoins. Ainsi, durant le processus de vinification, le terroir permet d’obtenir une bonne maturation des raisins d’un cépage approprié, d’assurer l’apport en eau dont la plante a besoin pour sa croissance, de protéger les racines de l’humidité et de la sècheresse, ou encore selon les différents sols existant, de réguler l’alimentation de la plante.
Le terroir est donc à la base de l’agriculture. Olivier de Serres insiste en disant que : « le fondement de l’agriculture est la cognoissance du naturel des terroirs que nous voulons cultiver ». Il faut comprendre ici que c’est l’adaptation des méthodes en fonction du terroir qui permet une exploitation optimale et variée de la terre
Durant le Moyen Âge, les bénédictins s’occupent du vignoble de Gaillac. Détruite en partie par les Maures, la vigne est replantée par les moines qui, par une amélioration des connaissances, réaménagent tout l’espace viticole. Par une prise en compte de nouveaux paramètres que sont le vent, le drainage des parcelles, l’exposition ou encore l’aménagement, les bénédictins permettent au vignoble gaillacois de disposer d’un aménagement propice à la fructification. On peut citer par exemple le fait qu’ils placent la vigne sur les coteaux en fonction des vents de pente (vents froids) ce qui renforce le raisin (la cuticule) et permet de bonnes conditions sanitaires pour les vendanges. Ils disposent aussi la vigne selon une exposition Sud, donc une zone chaude puisque fortement exposée au soleil, ce qui entraine une bonne maturation des raisins.
Le vignoble de Gaillac à l’époque Moderne hérite donc d’un aménagement réfléchi, permettant une qualité reconnue du vin. Il est caractérisé par des entités géographiques variées allant des plaines alluviales aux coteaux calcaires, sources de vins très différents. Le gaillacois est ainsi composé de trois grandes zones. Nous avons tout d’abord la rive droite. Cette partie du vignoble offre des conditions climatiques favorables avec un sol composé d’argile lourde gonflante. Cela se traduit par un sol argileux, sensible au taux d’humidité et qui permet une parfaite régulation de l’apport hydrique et des amendements naturels. C’est un territoire remarquable que ce soit pour le climat ou pour le sol. Ensuite, nous avons la rive gauche, composée de basses plaines et de terrasses fluviatiles. Le sol est acide mais bien drainé grâce à la présence de sable. Cette acidité du sol va avoir pour conséquence de donner un vin rouge charpenté. Enfin, la troisième grande zone est celle du plateau cordais. On peut y noter la présence de grès à ciment carbonaté permettant d’éviter une trop grande acidité des sols. Le vignoble gaillacois dispose ainsi d’une très grande diversité de terroir et ce grâce à son sol.
On peut voir l’importance du terroir, de l’exposition ou encore de l’aménagement de la vigne dans les écrits d’un grand agronome de l’époque Moderne : l’Abbé Rozier. Ayant vécu durant la seconde moitié du XVIIIe siècle, il est un héritier direct des méthodes d’Olivier de Serres.
« La forte transpiration de la vigne et sa succion véhémente, indiquent le sol qui lui convient. Par cette raison, une terre composée de sable, de gravier, de cailloux, de roches pourries, est excellente pour sa culture ; la terre sablonneuse produit un vin délicat ; la roche brisée un vin fumeux, généreux et de qualité supérieur ; la terre forte, franche, froide, compacte, humide, qui s’affaisse aisément, que le soleil durcit, nuit essentiellement à la qualité du vin. »
Il est intéressant de voir qu’il insiste sur les bienfaits d’un sol sablonneux, présent dans le terroir gaillacois en rive gauche. Dans son ouvrage Cours complet d’agriculture, il évoque aussi la notion d’exposition de la vigne :
« L’exposition la plus avantageuse est celle d’un coteau tendant de l’Orient au Midi, et sur lequel le soleil darde ses rayons pendant le plus long-temps possible ».
Rappelons ici que le vignoble de Gaillac dispose d’une partie exposée plein Sud, permettant des températures chaudes et donc intéressantes pour la vigne. Enfin, l’agronome fait aussi référence à l’aménagement du territoire et préconise les bienfaits d’un terroir proche de la mer ou d’une rivière telle que le Tarn pour Gaillac.
Les coteaux voisins de la mer et des rivières sont à préférer à tous ; la partie inférieure est moins avantageuse que la supérieure, et toutes deux ne valent pas la partie mitoyenne.
On peut ainsi voir, à l‘aide des grands agronomes de l’époque Moderne, que la qualité du vignoble gaillacois est justifiée. Disposant d’un terroir riche et diversifié, d’une exposition avantageuse et d’un aménagement autour du Tarn, la vigne hérite ainsi de formidables espaces naturels et donc d’un lieu parfaitement propice à la fructification.
On sait sous l’Ancien Régime que le climat est l’un des facteurs clé dans le processus de vinification ; puisqu’il peut accélérer ou retarder la maturation des raisins. L’époque Moderne apporte une compréhension biologique et chimique du phénomène de vinification et l’Abbé Rozier met en avant l’importance du soleil. Il comprend en effet que ce dernier est nécessaire pour développer le sucre dans les grains de raisin. Le vignoble gaillacois est un carrefour climatique qui mêle différentes influences océaniques, méditerranéennes et continentales. Le vent d’autan, caractéristique de la région, est lui aussi un atout puisque c’est un vent sec.
Si le climat est nécessaire et bénéfique au développement du pied de vigne et du raisin, il peut aussi avoir des conséquences désastreuses sur la viticulture. On en est d’autant plus conscient à Gaillac que le vignoble est victime d’une crise climatique en 1709, responsable d’une baisse durable de la qualité et donc de la renommée du vin de Gaillac durant tout le XVIIIe siècle.
Les atouts naturels représentent donc sous l’Ancien Régime la matrice sur laquelle repose la viniculture. Sans terre, pas de vigne. La connaissance du sol et de ses atouts permet au vigneron d’entamer au mieux le processus de vinification en produisant des raisins de qualité.