Une consommation bouleversée par les crises

Le pinard, béquille des poilus

     A la veille de la Première Guerre mondiale, le monde viticole est en crise du fait d’une surproduction chronique (comme en témoigne la révolte de 1907). Mais cette situation va changer lors de l’entrée en guerre de la France. Avant le début du conflit, le vin ne fait pas partie de la vie ordinaire du soldat. En effet, le règlement intérieur de l’époque stipule : « L’eau est la boisson habituelle du soldat ».Les autorités militaires se rendant vite compte de la difficulté du conflit, une ration de vin est ajoutée aux soldats afin d’améliorer leurs conditions de vie. C’est à cette époque que l’on commence à surnommer le vin : « pinard ».

Carte comique réalisée vers 1915-1916

 

     En 1914, chaque soldat reçoit un quart de litre de vin. En 1916, le Parlement, qui juge cette dose insuffisante, décide de la doubler. En 1918 la ration est encore augmentée jusqu’à atteindre 1 litre. Cependant, cette consommation varie aussi selon la position du soldat sur le front. Pour subvenir à ces besoins en vin, un quart de la production viticole française (colonies comprises) est réquisitionné. Le « pinard » est un mélange de ces vins de différentes régions, le but étant d’atteindre les 9° d’alcool. En plus de permettre au soldat de supporter l’horreur des tranchées, le vin apparaît de plus en plus comme un symbole français A la fin de la guerre, le pinard devient en France l’icône de sa gloire militaire. Il est chanté et loué par de nombreux artistes et poètes (Apollinaire…). Le vin permet d’oublier la soif et la faim, ainsi que les conditions de vie traumatisantes sur le front. Le vin est cependant consommé dans certaines conditions. Ainsi, les soldats comprennent vite qu’il ne faut pas boire avant de donner l’assaut car cela diminue leurs réflexes. Le vin va donc plutôt être consommé après, afin de décompresser et de tenter d’oublier.Pour permettre une mobilisation plus importante des troupes, les autorités les incitent à boire. De plus, au XXe, le vin est perçu comme un médicament revigorant. L’eau potable n’étant que rare, le vin apparaît comme le “premier désinfectant”. Les fosses d’aisance étant souvent installées à côté des approvisionnements, ceux-ci sont régulièrement contaminées et entraînent des épidémies. Le vin, souvent partagé, crée une convivialité et la moindre occasion est un prétexte pour en consommer faisant de ce breuvage le géniteur d’une certaine fraternité. La forte consommation de vin crée des scènes de désordre sur le territoire français comme des scènes d’ivresse collective.L’ivresse est cause d’incivilités et est en conséquence fortement réprimandé. Dans le but de lutter contre les dérives liés à la consommation des autres alcools, la consommation de vin est encouragé par les autorités, sa consommation étant mieux vu que celle de l’absinthe par exemple. La consommation de vin se démocratise en France après 1914. Ainsi, la société française buvait davantage qu’aujourd’hui, la France de 1914 compte 480 000 débits de boisson soit 1 pour 30 adultes. De plus, il ne faut pas oublier que tous les soldats ne sont pas des consommateurs d’alcool.( INSEE,2012) Bien que souvent mis en compétition avec la bière,le vin n’en reste pas moins un symbole de la France mais aussi un grand acteur de la première guerre mondiale.

 La crise du vignoble après 1929

     En 1929, une grave crise économique éclate aux États-Unis. Elle ne touchera la France qu’en 1932, bouleversant l’économie et la consommation européenne. La crise de 1929 n’épargne aucun domaine de la production nationale.

Halàsz Guyla, dit BRASSAI, Les chômeurs aux Halles

     Le domaine viticole est en crise de surproduction depuis le début du siècle, avec pour seul “répit” la Première Guerre mondiale. Le prix de l’hectolitre passe alors de 160 F à 45 F. Le prix de vente ne couvre même plus les coûts de production obligeant ainsi la mise en place de différentes mesures. L’Etat va d’abord procéder à un étalement de la mise du vin sur le marché ; puis à la création de stocks ; et enfin à une mesure classique de la distillation. Comme la production, la consommation connaît aussi une crise qui ne sera complètement résorbée qu’à l’entrée en guerre. Afin de protéger les produits de luxe, la France crée en 1935 l’Institut National des Appellations d’Origine (I.N.A.O). A l’origine exclusivement réservé aux vins, le pouvoir de l’INAO va s’étendre aux produits laitiers, légumes et volailles.

 De nouveaux consommateurs : la classe moyenne

     L’expression « classe moyenne » prend son sens au environ du XIXe siècle. Celle-ci démontre une partie de la population, qui avec son niveau de vie, se situe entre la classe aisée et la classe pauvre. Les classes moyennes indépendantes (paysans, commerçants, artisans …) déclinent au profit des classes moyennes salariées (cadres, instituteurs, infirmières, travailleurs sociaux, ingénieurs…). la classe moyenne est une définition très difficile à cerner elle doit être plus claire et mieux définie. L’apparition de cette classe a bouleversé les usages du vin. La classe moyenne démocratise un nouveau type de consommation du vin. En effet, ils deviennent les premiers à consommer du vin de manière régulière aux repas sans en abuser.