Les outils et les procédés pour parfaire le goût

A partir du moment où le raisin est foulé, il est mis en cuve et toutes les étapes se déroulent alors dans ce qu’on appelle le chai. Ce dernier est composé de deux parties indispensables que sont le lieu de vinification (pressoir et cuves de vendanges) qu’on appelle en occitan le tinal et le lieu de conservation de la futaille (chai à barrique). Les chais gaillacois sont pour la majorité en rez-de chaussée et semi enterrés. Il faut savoir que dès le Moyen-Age, la vinification se fait dans les villes. A l’époque Moderne, Gaillac est constitué d’un ensemble d’hôtels particuliers dans lesquels le chai est élevé par les noblesses de la famille locale. Dans les chais, on ne retrouve aujourd’hui que les fosses qui accueillaient les cuves en bois. Ces dernières jouent un rôle essentiel. On peut signaler la présence originale de « cuves maçonnées » dans le Tarn, encastrées directement dans les murs du chai, dans le but de gagner de l’espace.

Dessin aquarellé de Laroche datant de 1775 (collection privée). On peut voir la présence d’un pressoir et de cuves.

Le goût du vin est primordial, mais comment le façonner ?

Il existe à l’époque Moderne différents procédés pour parfaire le goût du vin. On peut citer notamment les actions de :
– soutirer qui consiste à passer le vin d’un contenant a un autre ce qui permet de l’aérer et de le débarrasser de ses impuretés ;
– ouiller, qui consiste à refaire le niveau d’un contenant pour faire face à d’éventuelles évaporations et donc éviter l’oxydation du vin ;
– coller qui permet de clarifier le vin et lui offrir sa limpidité caractéristique en lui incorporant un produit spécifique tel que de l’eau ;
– filtrer qui permet aussi de clarifier le vin mais en le faisant passer à travers une couche filtrante qui aide à supprimer les impuretés et la lie ;
– embouteiller qui consiste à vider le vin dans une bouteille le plus souvent en verre mais aussi dans un tonneau pour le transport.

Travailler le goût du vin sous l’Ancien Régime se fait donc principalement dans les cuves situées dans le chai. Par exemple, pour faire du vin rouge, la vendange reste entre deux et quatre semaines dans ces cuves pouvant contenir parfois jusqu’à 220 hectolitres. On peut noter qu’elles sont pour la plupart du temps faites en chêne, bois réputé pour bonifier le goût du vin. Pour goûter le vin dans les cuves, le vigneron doit percer des trous dans les cuves or ils doivent se faire à différents endroits puisque le vin n’est pas le même selon la hauteur dans la cuve. Par exemple, la présence de lie tombée au fond de la cuve à des conséquences sur le goût du vin ; mais le vin situé en haut est aussi influencé par un contact plus fréquent avec l’air. Les trous sont ensuite rebouchés grâce à des petites pièces de bois ou de liège.

Tonneau gaillacois datant de 1766

Le tonneau à l’époque Moderne joue aussi un rôle dans le processus de vinification. Récipient où l’on entrepose le vin durant sa maturation, il sert surtout au transport du produit. Il existe plusieurs formes de tonneaux. On peut notamment citer le baril qui est plus petit ; le foudre qui est un grand tonneau qui permet de stocker beaucoup plus ; le tonnelet est un petit tonneau en bois qui permet une meilleure conservation à la fois du vin et du récipient lui-même ; et pour finir le fût qui lui permet de transporter en vrac les marchandises. Les différents outils nécessaires à la fabrication du tonneau sont le chien ou encore le tertoir. Le tonneau est la plupart du temps la marque des grands vins car il est emblématique de la viticulture mais c’est aussi un gage de qualité pour le goût et l’arôme du vin. Différents bois sont utilisés comme le mélèze, le sapin, le frêne, le châtaignier ou encore le chêne qui reste le plus travaillé, réputé pour donner du tannin au vin. La bouteille, quant à elle, permet de préserver tous les arômes et la saveur du vin, tout en le conservant et le protégeant lors des transports. C’est surtout à l’époque moderne en particulier au XVIIIe siècle, que le vin et la bouteille se sont réunis pour remplacer notamment la futaille. On a retrouvé dans une cave gaillacoise une bouteille étiquetée et cachetée datant de 1731. Elle précise que cela semble tôt pour l’utilisation d’une bouteille qui se développe en France surtout dans la seconde moitié du XVIIIe siècle.

Pour en savoir plus, voir l’interview de Sonia Servant, spécialiste du patrimoine gaillacois.

Bouteille millésimée de vin blanc retrouvée dans une cave gaillacoise et datant de 1731

Si les cuves, les tonneaux et les bouteilles préservent le goût d’un vin, des facteurs extérieurs peuvent l’altérer. On peut citer l’exemple du bouchon de liège. Souvent utilisé à l’époque Moderne, notamment durant la période de maturation, ce dernier peut laisser une odeur de moisi. La réduction du niveau de vin dans les cuves est un synonyme d’oxydation, c’est-à-dire d’un vin resté trop longtemps à l’air libre, et peut aussi avoir des conséquences néfastes sur le goût. C’est pourquoi, le vigneron doit régulièrement surveiller le niveau des cuves. Enfin, le fumier, qui permet de renforcer le goût du vin en touchant en premier lieu le raisin dans les vignes, peut lui aussi dégrader le goût du vin. A Gaillac, on utilise particulièrement le fumier de pigeons (les autres fumiers étant interdits car dévalorisant le vin et surtout son goût), c’est ce que l’on appelle la fumure de la vigne. C’est une méthode qui existe bien avant l’époque Moderne et permet de renforcer la puissance du vin. Le vin de Gaillac est donc un vin avec une caractéristique puissante. C’est ce qu’Olivier de Serres met en exergue dans cette citation : Ces fumiers sont les meilleurs pour la qualité et la quantité du vin, presque tous les autres ne faisant qu’empirer son goût surtout les puants et les pourris. Au point que vous vous abstiendrez. Telle considération a tant et si bien œuvré à Gaillac que par décret public, le fumier dans la vigne y est défendu, n’étant permis, même au particulier, de fumer sa propre vigne de peur de ravaler la réputation de leur vin blanc. Il existe à l’époque Moderne des témoignages de consommateurs de vin de Gaillac nous permettant d’en déduire ses caractéristiques. Parmi eux, on peut citer Guillaume Catel qui est considéré comme le premier historien de Toulouse et du Languedoc. Il écrit dans ses Mémoire de l’histoire du Languedoc curieusement et fidèlement recueillis de divers auteurs… et de plusieurs titres et chartes … par Me Guillaume de Catel, paru en 1633 :

« Le vin de Gaillac est très apprécié des princes étrangers, laissant dans la bouche un goût de rose »

Enfin, on peut évoquer l’originalité du vignoble gaillacois avec la fabrication du vin pétillant avant même l’invention du champagne. En effet, la technique utilisée est faite avec de la levure qui permet avec le sucre de transformer en quelques mois un vin tranquille (vin normal) en vin pétillant grâce à une seconde fermentation qui donne la bulle et donc la prise de mousse. Le pétillant est une caractéristique et fierté du vin de Gaillac à l’époque Moderne. Les techniques de vinification reposent donc à l’époque Moderne sur une méthode simple, centrée autour du chai et des cuves. Quand certains outils restent traditionnels, d’autres se modernisent. Le domaine viticole est en effet marqué par les débuts de la science moderne.